Monday 12 April 2021, 15:20
En sus des recours civils qui s’offrent aux artisan.e.s, aux travailleurs et travailleuses de la culture et aux artistes en raison de leur statut de salarié.e non syndiqué.e, des salarié.e syndiqué.e ou de membre d’une association professionnelle d’artistes, il existe d’autres recours criminels et civils qu’une personne peut exercer lorsqu’elle est victime de harcèlement.
Le harcèlement psychologique ou sexuel peut être relié à de nombreuses infractions criminelles. En effet, le Code criminel prévoit diverses infractions qui visent à condamner certains comportements qui se rapprochent du harcèlement.
Contrairement aux recours civils qui sont entrepris par la personne lésée, les recours criminels sont initiés par le directeur des poursuites criminelles et pénales. L’objectif de ces poursuites n’est pas de compenser la victime pour un dommage, mais plutôt de punir l’individu reconnu coupable d’une infraction criminelle. La peine qui sera prononcée par le tribunal dépendra notamment de la peine qui est prévue par le Code criminel pour une infraction donnée et du mode de poursuite choisi par le directeur des poursuites criminelles et pénales.
Puisque le choix de poursuivre un individu en vertu d’une infraction plutôt qu’une autre repose entre les mains du directeur des poursuites criminelles et pénales, seule une brève description des principales infractions qui s’apparentent à du harcèlement est fournie.
Le harcèlement peut devenir criminel lorsqu’une personne agit à l’égard d’une autre personne en sachant qu’elle se sent harcelée ou sans se soucier qu’elle se sente harcelée si l’acte en question a pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle de l’une de ses connaissances (Code criminel, article 264(1)). Le fait de suivre une personne ou une de ses connaissances de façon répétée, de communiquer de façon répétée avec cette personne ou une de ses connaissances, même indirectement, de cerner ou de surveiller sa maison d’habitation, son lieu de travail ou tout autre lieu où elle se trouve, ou de se comporter d’une manière menaçante à l’égard de cette personne ou d’un membre de sa famille sont des exemples d’actes qui peuvent constituer du harcèlement criminel (Code criminel, article 264(2)).
L’extorsion est le fait pour une personne d’induire ou de tenter d’induire une autre personne à accomplir ou à faire accomplir quelque chose sans excuse ou justification raisonnable et avec l’intention d’obtenir quelque chose, par menaces, par accusations ou par violence (Code criminel, article 346(1)).
L’infraction d’extorsion vise entre autres l’extorsion de faveurs sexuelles (R. c. Davis, [1999] 3 RCS 759). Par exemple, un photographe qui a encouragé des modèles à poser nues en leur faisant croire que les photos serviraient à des fins professionnelles a été reconnu coupable d’extorsion lorsqu’il a menacé les modèles d’envoyer les photos à leurs familles si elles lui refusaient des rapports sexuels (R. c. Davis, [1999] 3 RCS 759).
Les communications harcelantes constituent une autre infraction prévue au Code criminel qui partage des liens étroits avec le harcèlement. Cette infraction est commise lorsqu’une personne communique avec une autre de façon répétée ou fait en sorte que des communications répétées lui soient faites par un moyen de télécommunication, et ce, sans excuse légitime et avec l’intention de harceler (Code criminel, article 372(3)).
Il y a intimidation lorsqu’une personne accomplit un geste dans le dessein de forcer une autre personne à s’abstenir de faire une chose qu’elle a légalement le droit de faire ou à faire une chose qu’elle peut légalement s’abstenir de faire (Code criminel, article 423(1)). Parmi ces gestes, on compte :
En vertu de la Charte québécoise des droits et libertés (ci-après « Charte »), toute personne a le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et des libertés sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap (Charte, article 10).Nul ne doit non plus harceler une personne en raison de l’un de ces motifs (Charte, article 10.1).
Une personne qui est victime de harcèlement discriminatoire peut porter plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse afin d’obtenir une réparation la cessation de l’atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte (Charte, article 49 alinéa 1). Si l’atteinte a été réalisée de manière illicite et intentionnelle, la Commission peut également obliger l’auteur ou l’autrice de l’atteinte à verser des dommages-intérêts punitifs à la personne lésée (Charte, article 49 alinéa 2).
La procédure de dépôt d’une plainte prévoit que celle-ci peut être déposée par la personne ou par un groupe de personnes qui a été victime de discrimination ou de harcèlement, par un organisme, au nom d’une ou de plusieurs victimes, ou par un témoin si la victime est une personne âgée ou handicapée. Si une personne porte plainte au nom de quelqu’un d’autre, elle doit obtenir l’autorisation écrite de la victime.
La Commission recommande de porter plainte le plus rapidement possible, mais dans tous les cas, la plainte doit être déposée au plus tard trois ans après les faits. Toutefois, la Commission peut décider de ne pas traiter une plainte si l’événement remonte à plus de deux ans.
Pour compléter la plainte, la Commission exige de l’information sur les faits, les gestes et les paroles problématiques, les dates importantes, les noms et les coordonnées des témoins, et les autres démarches qui ont été entreprises, s’il y a lieu. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une plainte à la CNESST, au Commissaire local aux plaintes ou au Protecteur du citoyen, ou d’une poursuite devant un tribunal.
En moyenne, le délai de traitement d’une plainte est de 15 mois. Le traitement d’une plainte comprend plusieurs étapes. À la réception de la plainte, la Commission ouvre un dossier et décide si celle-ci est recevable. Dans l’affirmative, l’enquête commence par une évaluation et la personne ayant déposé la plainte sera invitée à la régler en médiation. À défaut d’entente à la suite de la médiation, l’enquête se poursuivra par une recherche de preuves qui mènera à une décision écrite concernant la plainte.
Finalement, il existe aussi le recours en responsabilité civile a pour objectif d’indemniser une personne de tout dommage qu’elle a subi en raison d’une faute commise par une autre personne, ce qui inclut le dommage corporel, moral ou matériel (Code civil du Québec, article 1457). Toutefois, ce recours s’applique rarement en droit du travail. Il est donc essentiel de consulter un.e avocat.e pour savoir si un tel recours est approprié.
À l’opposé des recours criminels qui s’offrent à tous les citoyens et à toutes les citoyennes, les recours civils, tels que le recours en responsabilité civile ou le recours à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, peuvent ne pas être toujours ouverts aux artisan.e.s, aux travailleurs ou aux travailleuses de la culture, ou aux artiste.s.
En effet, en contexte de travail dans le milieu culturel, il se peut que ces personnes soient soumis.e.s à une convention collective ou à une entente collective d’une association professionnelle d’artistes. Ces documents prévoient généralement le recours à un arbitre de grief qui a le pouvoir de rendre une décision finale en ce qui a trait une plainte pour harcèlement.
Pour démontrer la complexité qui peut entourer la détermination des recours civils applicables en contexte de travail dans le milieu culturel, prenons l’exemple d’une interprète de danse qui allègue avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe en étant harcelée sexuellement par un directeur technique de la troupe de danse lors d’une tournée en Europe (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.G.) c. Gomez, 2015 QCTDP 14).
Elle soutient que son collègue de travail a exercé des pressions de nature sexuelle très insistantes alors qu’ils se trouvaient tous les deux dans l’appartement qu’ils partageaient pendant la durée de la tournée. Cela a provoqué un stress post-traumatique chez l’interprète. Considérée comme travailleuse autonome, elle a d’abord déposé une plainte auprès de la Commission de la santé et de la sécurité (aujourd’hui la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail). La plainte n’a pas été retenue par la Commission au motif que l’incident ne s’était pas produit à l’occasion du travail, mais plutôt dans un contexte purement personnel.
Une plainte subséquente à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a toutefois permis au Tribunal des droits de la personne de confirmer que l’interprète de danse a bel et bien subi du harcèlement sexuel au travail, puisqu’elle se trouvait en Europe en raison d’un contrat conclu avec la troupe de danse, et par conséquent, elle était captive et dépendante de la compagnie tout au long de la tournée. Le Tribunal des droits de la personne a accepté le recours entrepris par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse au nom de l’interprète et il lui a accordé une compensation monétaire pour l’atteinte.
Les recours civils qui sont disponibles pour chaque individu dans le milieu de la culture dépendent donc en grande partie de sa situation de travail.
Mariya Voloshyn
Étudiante en droit et chargée de projets chez Juripop