Procès au criminel et droits des victimes (4/4)

jeudi 11 mars 2021, 12:18

Quelles sont les mesures d’accommodement possibles lors du témoignage?

Dans un article précédent, les mesures d’accommodement possibles lors du témoignage de la victime ont été brièvement nommées. Voyons maintenant en détail ces mesures.

Exclusion du public lors du témoignage

Si le juge est d’avis que c’est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, il peut, sur demande de la poursuite, du témoin ou de sa propre initiative, ordonner que le témoignage n’ait pas lieu devant public (Code criminel, article 486 (1)). Il peut aussi ordonner que le témoin comparaisse derrière un écran ou un dispositif afin que le public ne puisse pas le voir.

Afin de rendre une telle ordonnance, il faut être en présence de deux conditions: la nécessité d’écarter un risque réel et important que le procès soit inéquitable et il faut s’assurer que les effets bénéfiques surpassent les effets négatifs (R. c. Mentuck, 2001 CSC 76).

Il importe de souligner qu’il est difficile d’obtenir une ordonnance de huis clos, même dans les cas d’infractions sexuelles. Les tribunaux préfèrent opter pour le témoignage derrière un écran ou un dispositif permettant que le témoin ne soit pas vu du public (1). Par contre, dans les cas d’infractions sexuelles, de traite des personnes et de prostituion, le juge qui n’octroie pas l’ordonnance doit exposer les motifs justifiant son refus (Code criminel, article 486 (3)).

Accompagnement par une personne de confiance

Le juge peut ordonner que le témoin ou la victime mineure ou ayant une déficience physique ou mentale se fasse accompagner d’une personne de confiance qu’elle choisit (Code criminel, article 486.1). Le témoin peut en faire la demande, mais ce sera normalement le poursuivant qui le fera. Le juge va rendre l’ordonnance, à moins qu’il juge que ce soit contraire à l’administration de la justice.

Dans les autres cas, le juge qui reçoit la demande du poursuivant ou du témoin n’a pas l’obligation de l’accepter. Il le fera s’il pense que ça facilitera l’obtention d’un récit complet et franc du témoin ou que cela est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice (Code criminel, article 486.1).

Il importe de préciser que le juge ne peut pas permettre à un autre témoin du dossier d’agir comme personne de confiance afin que son propre témoignage ne soit pas contaminé (Code criminel, article 486.1). Il peut aussi interdire toute communication entre la personne de confiance et le témoin lors du témoignage (Code criminel, article 486.1).

Retrait de la salle d’audience

De façon concrète, dans le cas présent, on fait témoigner le témoin par télévision à circuit fermé ou derrière un écran. Ainsi, la victime ne voit pas l’accusé, mais ce dernier la voit (2).

Le principe juridique est le même que pour la section portant sur l’exclusion du public lors du témoignage.

Les personnes majeures et les personnes qui ne souffrent pas de déficiences physiques ou mentales, pour obtenir l’ordonnance de retrait de la salle, doivent prouver davantage qu’une crainte d’anxiété face au fait d’être interrogés en présence de la partie adverse (Code criminel, article 486.2). Il faut que le juge soit convaincu que l’ordonnance faciliterait l’obtention d’un récit complet et véridique des faits relatifs à l’affaire de la part du témoin ou que ce soit, par ailleurs, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice (Code criminel, article 486.2).

Il est possible que le juge entende la victime afin de décider si l’ordonnance est appropriée dans les circonstances du dossier (Code criminel, article 486.2)..

Précisons que le fait que le juge décide de ne pas octroyer l’ordonnance ne signifie pas que la victime n’est pas crédible (Code criminel, article 486.2). De plus, le fait que le témoignage derrière l’écran soit permis ne pourra pas influencer l’opinion du jury envers la victime.

Interdiction de contre-interrogatoire par l’accusé

Lorsque l’accusé se représente seul (qu’il n’a pas d’avocat.e) et qu’il est accusé de harcèlement criminel ou d’agression sexuelle, il ne peut pas procéder lui-même au contre-interrogatoire de la victime ou du témoin (Code criminel, article 486.3). Un avocat sera ainsi nommé par le juge pour y procéder à sa place. C’est également le cas lorsque la victime est mineure (Code criminel, article 486.3).

Dans le cas de la commission de d’autres infractions, le juge n’a pas d’obligation de nommer un avocat pour procéder au contre-interrogatoire (3). Afin de prendre sa décision, le juge regardera si cela lui permettra d’obtenir un récit complet et véridique des faits, en d’autres termes il devra déterminer si l’ordonnance est nécessaire (Code criminel, article 486.3). À titre d’exemple, il fut déjà jugé par la Cour de justice en Ontario que le fait d’être nerveux ou inconfortable de témoigner n’est pas suffisant pour nommer un avocat à l’accusé (4).

Possibilité de témoigner à distance

La Cour a le pouvoir d’ordonner au témoin en sol canadien de rendre son témoignage par audioconférence ou vidéoconférence s’il juge que c’est approprié, par exemple si le témoin se trouve loin et qu’il n’est pas en mesure de se déplacer (Code criminel, article 714.1). Le tribunal regardera l’ensemble des facteurs pertinents, par exemple, les difficultés et inconvénients pour la défense, si la crédibilité du témoin est en cause, l’importance du témoignage, le lieu où se trouve le témoin, sa situation personnelle ou encore les coûts de son déplacement (R. c. Dancause, 2018 QCCS 1563). Souvent, afin de rencontrer les intérêts de tous, on va permettre au témoin de déposer son témoignage dans la cour de justice la plus proche de lui (5). Si le juge décide de ne pas le permettre, il doit motiver sa décision (Code criminel, article 714.4).

On permet aussi la même chose à la victime se trouvant à l’étranger (Code criminel, article 714.2). Par contre, dans ce cas, le tribunal est obligé de permettre le témoignage à distance (Code criminel, article 714.2). Les cas d’exception sont très rares et limités (6).

Possibilité de témoigner par un enregistrement vidéo préexistant

Il est possible d’utiliser des témoignages déjà recueillis si le témoin n’est pas en mesure de déposer un témoignage, par exemple, s’il est décédé, à l’étranger ou malade (Code criminel, article 715). Il faut alors s’assurer que le témoignage ait été reçu en présence de l’accusé et qu’il ait eu l’occasion de le contre-interroger (Code criminel, article 715). C’est une mesure davantage utilisée lorsque le témoignage est donné par un enfant. Effectivement, cela atténue la pression qui repose sur ses épaules et offre un récit des faits plus fidèle, car les enfants ont tendance à oublier plus rapidement. L’enfant pourra simplement confirmer lors du procès que les déclarations faites lors de l’enregistrement sont exactes. Il pourra cependant être interrogé par la défense (7).

Références:

(1) Amissi Melchiade MANIRABONA, Introduction au droit des victimes d’actes criminels au Canada, Montréal, LexisNexis Canada, 2020, p. 212-213.
(2) G.S. v. K.C., 2020 ONSC 210, paragraphe 21.
(3) Amissi Melchiade MANIRABONA, Introduction au droit des victimes d’actes criminels au Canada, Montréal, LexisNexis Canada, 2020, p. 218.
(4) Amissi Melchiade MANIRABONA, Introduction au droit des victimes d’actes criminels au Canada, Montréal, LexisNexis Canada, 2020, p. 220.
(5) Amissi Melchiade MANIRABONA, Introduction au droit des victimes d’actes criminels au Canada, Montréal, LexisNexis Canada, 2020, p. 222. Voir aussi R. v. Belem, 2017 ONSC 2213, par. 54.
(6) Amissi Melchiade MANIRABONA, Introduction au droit des victimes d’actes criminels au Canada, Montréal, LexisNexis Canada, 2020, p. 222.
(7) R. c. F. (C.C.), [1997] 3 R.C.S 1183.

Anaïs Renaud

Étudiante en droit à l’Université de Montréal et stagiaire chez Juripop

Aller au contenu principal